Alzheimer : test salivaire
Vancouver, Canada – La biotech canadienne Aurin, publie dans le Journal of Alzheimer’s Disease les résultats d’une première évaluation d’un test diagnostic de la maladie d’Alzheimer s’effectuant sur un échantillon de salive [1]. A ce stade, le test est expérimental : les résultats publiés ne portent d’ailleurs que sur 37 sujets, tous testés dans le même laboratoire. Ces résultats suggèrent toutefois que le test pourrait avoir une valeur prédictive. Au-delà même de la question de sa validation, ce test soulève donc la question du dépistage présymptomatique. L’outil pourrait avoir une utilité en recherche. Mais en l’absence de traitement préventif validé, quelle serait son utilité clinique ? Et quel serait l’impact personnel et social de l’annonce d’un diagnostic ? Taux de peptide β amyloïde doublé chez les maladesLe test développé par Aurin est un test ELISA quantitatif (enzyme-linked immunosorbent assay) qui permet le dosage du peptide β-amyloïde dans la salive.Plus exactement, le peptide détecté est un peptide anormal, long de 42 acides aminés, et qui s’agrège plus facilement en plaque amyloïdes que le peptide normal de 40 acides aminés. Dans les premiers stades de la maladie, seul le peptide βA(1-42) est présent dans les dépôts amyloïdes. Rappelons que le diagnostic de maladie d’Alzheimer est aujourd’hui essentiellement clinique. L’imagerie (IRM, scanner) est utilisée principalement pour exclure d’autres diagnostics (AVC, tumeur cérébrale). Quant au peptide βA(1-42), il peut être recherché dans le LCR, ainsi que la protéine Tau. Une protéine Tau élevée et un peptide βA(1-42) bas (au contraire de ce qui est observé dans la salive) serait associés à une détérioration cognitive plus rapide. Interrogé par Medscape International, le Dr Patrick McGeer, dernier signataire de l’étude, et Directeur-Général d’Aurin Biotech, estime que « la seule manière d’éliminer la maladie d’Alzheimer est d’intervenir très précocement, avant le développement des symptômes. Nous avons besoin d’un test qui détecte ce qui se passe dans le cerveau des années avant que les symptômes apparaissent. Si vous attendez les symptômes, ce sera beaucoup trop tard » Le Dr McGeer affirme que la maladie peut être évitée chez les sujets présentant une susceptibilité « par une approche multifactorielle incluant la prise d’AINS, la consommation de café, la prise d’exercice, et un régime méditerranéen. Une telle approche peut réduire considérablement le risque de développer la maladie si elle est mise en œuvre longtemps avant son apparition ». « Nous pensons qu’une petite cuillère de salive peut prédire le risque individuel d’Alzheimer, et qu’une fois le risque connu, il est possible de prendre des mesures préventives », conclut-il. Du côté des sociétés savantes, on est un peu plus prudent. Auprès de Medscape International, toujours, le Dr Keith Fargo (directeur scientifique de la US Alzheimer Association), confirme qu’un test « bon marché, portable, non invasif, et sûr, serait une sorte de Graal », et que les résultats canadiens « semblent être un pas dans cette direction ». « Même s’il s’agit d’un papier très intéressant, les résultats doivent être considérés comme extrêmement préliminaires, et demandent confirmation dans d’autres populations », ajoute-t-il cependant. « Clairement, ce test est loin d’être prêt pour une utilisation clinique ». Enfin, et peut-être surtout, « l’Alzheimer Association américaine n’est pas d’accord avec la possibilité de prévenir la maladie. Bien qu’un bénéfice de certaines interventions, comme un régime alimentaire spécifique ou les AINS, ait été suggéré, on est loin d’avoir les preuves permettant d’affirmer que l’on peut ainsi éviter ou retarder les manifestations de la maladie. Certaines déclarations de chercheurs ont été sur-interprétées ». Les résultats portent sur 37 sujets (16-92 ans), parmi lesquels 7 patients atteints de maladie d’Alzheimer. Le dosage salivaire de peptide βA(1-42) est apparu très constant, quel que soit l’âge et le sexe, chez 27 des sujets non atteints (22,06 pg/mL). Chez les patients atteints, ce taux était plus que doublé (59,07 pg/mL). En fait, des écarts de taux salivaires de peptide βA(1-42) ont déjà été observés entre sujets atteints ou non, mais pas aussi importants. Enfin, trois sujets non diagnostiqués Alzheimer présentaient un taux manifestement élevé, du même ordre que celui des malades : 60,90 pg/mL. Or, parmi ces sujets, deux présentaient des antécédents familiaux connus, et suggestifs d’un fort risque pour eux-mêmes. Quant au troisième, il s’est révélé a posteriori porteur d’une mutation dans le gène de la préséniline (PS-1), connue comme responsables de formes familiales de la maladie. « Le dépistage fortuit d’une mutation de la préséniline « valide la capacité prédictive du test salivaire », estiment les auteurs. « Globalement, nos données montrent que la maladie d’Alzheimer peut être diagnostiquée et prédite à partir des taux salivaires de peptide βA(1-42) ». Le Dr McGeer estime que « ces résultats doivent être reproduits par d’autres, mais semblent très prometteurs. L’effectif testé est réduit, mais nos résultats sont si remarquables qu’ils méritent une large diffusion. Le test salivaire est simple, non invasif, et accessible. Tout le monde devrait s’y intéresser». Pour le Pr David S. Knopman (neurologue à la Mayo clinic, Rochester), commentant l’étude pour Medscape International, « un test non invasif, peu coûteux et fiable pour la maladie d’Alzheimer, qui ne demande pas de ponction lombaire ou d’imagerie cérébrale, est un objectif important. Il est donc encourageant de voir des groupes travailler sur de nouvelles approches. Toutefois, faire passer un tel test de la faisabilité à la réalité est un gros travail, et les données publiées doivent être vues dans ce contexte ». Il s’agit maintenant de voir « si la sensibilité, la spécificité, la reproductibilité du test sont adéquats ». Il faut aussi vérifier la transportabilité du test d’un centre à un autre, note le Pr Knopman, en remarquant que ce problème est rencontré avec les dosages du peptide βA(1-42) dans la LCR, dont les résultats peuvent considérablement varier d’un laboratoire à un autre. « La mesure du βA(1-42) périphérique sera-t-elle suffisamment sensible pour la maladie d’Alzheimer, et à quel stade de la maladie : préclinique, symptomatique précoce, sévère ? Et quel est sa spécificité ? Il serait intéressant de voir ce test évalué dans l’une des grandes études épidémiologiques menée avec l’imagerie cérébrale ou le dosage du peptide βA dans le LCR ». Le Pr Tim Shakespeare (United Kingdom Alzheimer’s Society) indique que l’Alzheimer’s Society britannique finance une étude, PREVENT, qui recherche des marqueurs précoces de la maladie dans la salive, le LCR, et par imagerie cérébrale chez 700 personnes de 40 à 59 ans. La prévention a beau rester un objectif lointain, le marqueur aussi précoce et accessible que possible de la maladie, semble bien être, lui, un objectif très actuel. Au demeurant, on n’évaluera jamais d’éventuelles mesures préventives, que dans des populations ciblées pour leur risque. La période durant laquelle il faudra gérer l’annonce d’un risque à des patients sans pouvoir secondairement proposer de prévention à l’efficacité prouvée, s’annonce cependant difficile. L’étude a été financée par Aurin Biotech. Le Dr McGeer est Directeur-Général D’Aurin Biotech. Les Prs Knopman, Fargo et Shakespeare déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec le sujet. Source : Lee M, Guo JP, Kennedy K, et coll. A Method for Diagnosing Alzheimer’s Disease Based on Salivary Amyloid-β Protein 42 Levels . J Alzheimers Dis. 2016 ; DOI: 10.3233/JAD-160748. Medscape, Vincent Bargoin, avec Sue Hugues – 08 décembre 2016